Dans le silence obstiné des organisations syndicales, un pouvoir aux abois a instrumentalisé une répression judiciaire sans précédent pour tenter de mater un mouvement social. Il y a bien évidemment la stratégie du ministère de l’intérieur qui pousse à la violence pour tenter de disqualifier le mouvement. Mais malheureusement la magistrature accepte ces dérives et joue sa partition dans ce qui désormais s’apparente à une répression de masse qui entretient des rapports très lointains avec l’État de droit dont on nous rebat pourtant les oreilles. Cravachés par Nicole Belloubet en personne (!) se déplaçant au tribunal de Paris un dimanche, et par les interventions permanentes de la place Vendôme voire de Matignon y compris des instructions individuelles pourtant interdites par la loi, les parquets déchaînés basculent avec zèle dans la répression de masse, font procéder à des arrestations souvent préventives, par milliers, défèrent également par milliers des gens devant les tribunaux, à l’aide de procédures d’urgence dans lesquelles par des réquisitoires violents, il demande des peines folles. Et de façon stupéfiante la magistrature du siège a accepté de rentrer dans cette logique et distribue en cadence des peines ahurissantes. Depuis le début du mouvement, plus de 5000 arrestations, 1000 condamnations, 350 personnes incarcérées sur la base d’incriminations parfois farfelues. Et avec des interprétations de la loi répressive souvent audacieuses pour ne pas dire plus. Désolé, mais ceci n’est pas de la justice, c’est de l’abattage.
Et manifestement c’est loin d’être fini. Des anecdotes effarantes remontent de toute la France sur ce qui est en train de se passer. Tel sera condamné à six mois de prison ferme pour avoir partagé un statut sur Facebook, tel autre à 28 mois tout aussi fermes, sans avoir été défendu par un avocat, au prétexte selon la présidente du tribunal « que cela n’aurait rien changé ». Il y a des dizaines et des dizaines d’autres histoires qui font froid dans le dos. La France prend un drôle de chemin. Dans tel département, le procureur et le préfet font conférence de presse commune pour menacer : « la justice sera impitoyable ! » Depuis quand sont-ce les procureurs et les préfets qui jugent ? Jusqu’à nouvel ordre, dans une démocratie, ils sont responsables du maintien de l’ordre, pas de rendre la justice. Dans tel autre, il semblerait bien que le procureur ait organisé une forme de « comité de salut public » chargé de fournir les charrettes, et on dit que les juges du siège qui vont juger le font sur la base du volontariat ! Naturellement les pressions se font nombreuses contre les avocats qui s’élèvent contre ces dérives et font leur devoir. Gare à la fermeté, l’exigence ou la passion, les plaintes du parquet contre les défenseurs dégringolent immédiatement. Et naturellement il y a le refus obstiné de se pencher sur la multiplication des violences policières, sur l’usage incroyablement excessif de la force. Notamment avec les flashs ball et les grenades de désencerclement utilisés en violation de règles pourtant claires. Et puis il y a bien sûr la violence directe, arbitraire dont de multiples vidéos donnent de tristes exemples. Cette impunité, ne peut qu’être un choix délibéré, et provoque fatalement l’émotion et la rage. Le procureur de Toulon ayant sous les yeux les vidéos du commandant Didier Andrieux permettant de voir parfaitement à qui on avait affaire a trouvé le moyen de se déshonorer en refusant immédiatement toute enquête au motif que le comportement du commandant frappeur aurait été « proportionné ». On rappellera que dans le passé ce n’était pas l’avis de ses subordonnés, et que le préfet plus malin et devant l’évidence a demandé une enquête de l’IGPN.
Dans cette ambiance, et comme les tribunaux les suivent, comment s’étonner que les ministres les plus déplorables se permettent de proférer des menaces comme le font tous les jours Christophe Castaner,Benjamin Grivreaux ou Marlène Schiappa qui viennent d’inventer une nouvelle définition de la complicité, et exigent des arrestations préventives (!). Comment s’étonner qu’un premier ministre dont on attendait peut-être un peu plus de tenue annonce des mesures législatives liberticides qui vont finir par faire envie à Erdogan ?
Préférer l’ordre à la justice ?Alors vient à l’esprit la question : comment le corps de la magistrature dont les organisations syndicales aujourd’hui muettes, nous rebattent les oreilles avec son indépendance et son impartialité depuis 30 ans accepte-t-il de devenir ainsi l’instrument de la violence d’un parti de l’ordre à ce point déchaîné ? Comment oublie-t-on ainsi que la justice se rend au nom du peuple français ? Personne pour sauver l’honneur ? Aucun procureur dont la parole est libre à l’audience pour refuser les ordres de Belloubet ? Aucune juridiction pour se rappeler que sa mission n’est pas de rétablir l’ordre mais de rendre la justice. Dans le respect de la loi, quoi qu’il arrive. Ce n’est pas semble-t-il le choix qui a été fait, et pour illustrer l’ampleur du mal on citera Madame Noëlle Lenoir, ancienne ministre et ancien membre du conseil d’État et du conseil constitutionnel, donc juriste affirmée qui nous dit dans un tweet : « que la justice doit être réellement faite par les tribunaux dont la responsabilité est immense pour restaurer l’ordre ». Quelqu’un pour rappeler à cette aimable versaillaise (dans le sens que la Commune lui a donné) manifestement en panique, que la mission de restauration de l’ordre est celle de l’exécutif, pour les tribunaux c’est celle de la Justice ? Dans le respect de la loi et des procédures.